Шарль де Сент-Эвремон. ​Sur les poëmes des anciens

Шарль де Сент-Эвремон. ​Sur les poëmes des anciens

Il n’y a personne qui ait plus d’admiration que j’en ai, pour les ouvrages des anciens. J’admire le dessein, l’économie, l’élévation de l’esprit, l’étendue de la connoissance : mais le changement de la religion, du gouvernement, des mœurs, des manières, en a fait un si grand dans le monde, qu’il nous faut comme un nouvel art, pour entrer dans le goût et dans le génie du siècle où nous sommes.

Et certes mon opinion doit être trouvée raisonnable par tous ceux qui prendront la peine de l’examiner. Car si l’on donne des caractères tout opposés, lorsqu’on parle du Dieu des Israélites et du Dieu des chrétiens, quoique ce soit la même divinité : si on parle tout autrement du dieu des batailles, de ce dieu terrible qui commandoit d’exterminer jusqu’au dernier des ennemis, que de ce Dieu patient, doux, charitable, qui ordonne qu’on les aime ; si la création du monde est décrite avec un génie, la rédemption des hommes avec un autre ; si l’on a besoin d’un genre d’éloquence, pour prêcher la grandeur du père qui a tout fait, et d’un autre, pour exprimer l’amour du fils qui a voulu tout souffrir ; comment ne faudroit-il pas un nouvel art et un nouvel esprit, pour passer des faux dieux au véritable, pour passer de Jupiter, de Cybèle, de Mercure, de Mars, d’Apollon, à Jésus-Christ, à la Vierge, à nos anges et à nos saints ?

Ôtez les dieux à l’antiquité, vous lui ôtez tous ses poëmes : la constitution de la fable est en désordre ; l’économie en est renversée. Sans la prière de Thétis à Jupiter, et le songe que Jupiter envoie à Agamemnon, il n’y a point d’Iliade ; sans Minerve, point d’Odysée ; sans la protection de Jupiter et l’assistance de Vénus, point d’Énéide. Les dieux assemblés au ciel délibéroient de ce qui devoit se faire sur la terre ; c’étoient eux qui formoient les résolutions, et qui n’étoient pas moins nécessaires pour les exécuter, que pour les prendre. Ces chefs immortels des partis des hommes concertoient tout, animoient tout ; inspiroient la force et le courage, combattoient eux-mêmes ; et à la réserve d’Ajax qui ne leur demandoit que de la lumière, il n’y avoit pas un combattant considérable, qui n’eût son dieu sur son chariot, aussi bien que son écuyer : le dieu pour conduire son javelot ; l’écuyer pour la conduite de ses chevaux. Les hommes étoient de pures machines, que de secrets ressorts faisoient mouvoir, et ces ressorts n’étoient autre chose, que l’inspiration de leurs déesses et de leurs dieux.

La divinité que nous servons est plus favorable à la liberté des hommes. Nous sommes entre ses mains, comme le reste de l’univers, par la dépendance ; nous sommes entre les nôtres, pour délibérer et pour agir. J’avoue que nous devons toujours implorer sa protection. Lucrèce la demande lui-même ; et, dans le livre où il combat la Providence, de toute la force de son esprit, il prie, il conjure ce qui nous gouverne d’avoir la bonté de détourner les malheurs :

Quod procul a nobis flectat natura gubernans !

Cependant il ne faut pas faire entrer en toutes choses cette majesté redoutable, dont il n’est pas permis de prendre le nom en vain. Que les fausses divinités soient mêlées en toutes sortes de fictions ; ce sont fables elles-mêmes, vains effets de l’imagination des poëtes. Pour les chrétiens, ils ne donneront que des vérités à celui qui est la vérité pure, et ils accommoderont tous leurs discours à sa sagesse et à sa bonté.

Ce grand changement est suivi de celui des mœurs, qui pour être aujourd’hui civilisées et adoucies, ne peuvent souffrir ce qu’elles avoient de farouche et de sauvage, en ce temps-là. C’est ce changement qui nous fait trouver si étranges les injures féroces et brutales que se disent Achille et Agamemnon. C’est par là qu’Agamemnon nous est odieux, lorsqu’il ôte la vie à ce Troyen, à qui Ménélas l’avoit donnée. Ménélas pour qui se faisoit la guerre, lui pardonne généreusement ; Agamemnon, le roi des rois[3], qui devoit des exemples de vertu à tous les princes et à tous les peuples ; le lâche Agamemnon tue ce misérable, de sa propre main. C’est par là qu’Achille nous devient en horreur, lorsqu’il tue le jeune Lycaon, qui lui demandoit la vie, si tendrement. C’est par là que nous haïssons jusqu’à ses vertus, quand il attache le corps d’Hector à son chariot, et qu’il le traîne inhumainement au camp des Grecs. Je l’aimois vaillant, je l’aimois ami de Patrocle ; la cruauté de son action me fait haïr sa valeur et son amitié. C’est tout le contraire, pour Hector. Ses bonnes qualités reviennent dans notre esprit : nous le regrettons davantage ; son idée, devenue plus chère, s’attire tous les sentiments de notre affection.

Et qu’on ne dise point, en faveur d’Achille, qu’Hector a tué son cher Patrocle. Le ressentiment de cette mort ne l’excuse point auprès de nous. Une douleur, qui lui permet de suspendre sa vengeance, et d’attendre ses armes avant que d’aller combattre ; une douleur si patiente ne le devoit pas pousser à cette barbarie, le combat fini. Mais dégageons l’amitié de notre aversion. La plus douce, la plus tendre des vertus, ne produit point des effets si contraires à sa nature. Achille les a trouvés dans le fonds de son naturel. Ce n’est point à l’ami de Patrocle, c’est à l’inhumain, à l’inexorable Achille qu’ils appartiennent.

Tout le monde en demeurera d’accord aisément. Cependant les vices du héros ne retomberont pas sur le poëte. Homère a plus songé à peindre la nature telle qu’il la voyoit, qu’à faire des héros fort accomplis. Il les a dépeints avec plus de passions que de vertus : les passions étant du fonds de la nature, et les vertus n’étant purement établies en nous, que par les lumières d’une raison instruite et enseignée.

La politique n’avoit pas encore lié les hommes par les nœuds d’une société raisonnable ; elle ne les avoit pas bien tournés encore pour les autres ; la morale ne les avoit pas encore bien formés pour eux-mêmes. Les bonnes qualités n’étoient pas assez nettement dégagées des mauvaises. Ulysse étoit prudent et timide, précautionné contre les périls, industrieux pour en sortir ; vaillant quelquefois, lorsqu’il y avoit moins de danger à l’être, qu’à ne l’être pas. Achille étoit vaillant et féroce ; et (ce qu’Horace n’a pas voulu mettre dans le caractère qu’il en a donné) se relâchant quelquefois à des puérilités fort grandes. Sa nature incertaine et mal réglée produisoit des mœurs, tantôt farouches, tantôt puériles : tantôt il traînoit le corps d’Hector, en barbare ; tantôt il prioit la déesse sa mère, en enfant, de chasser les mouches de celui de Patrocle, son cher ami.

Les manières ne sont pas moins différentes que les mœurs. Deux héros, animés pour le combat, ne s’amuseroient point aujourd’hui à se conter leur généalogie ; mais il est aisé de voir, dans l’Iliade, dans l’Odyssee et dans l’Énéide même, que cela se pratiquoit. On discouroit, avant que de se battre, comme on harangue, en Angleterre, avant que de mourir.

Pour les comparaisons, la discrétion nous en fera moins faire : le bon sens les rendra justes ; l’invention, nouvelles. Le soleil, la lune, les étoiles, les éléments, ne leur prêteront plus une magnificence usée ; les loups, les bergers, les troupeaux, ne nous fourniront plus une simplicité trop connue.

Il me paroît qu’il y a une infinité de comparaisons qui se ressemblent plus que les choses comparées. Un milan qui fond sur une colombe, un épervier qui charge de petits oiseaux, un faucon qui fait sa descente : tous ces oiseaux ont plus de rapport entre eux dans la rapidité de leur vol, qu’ils n’en ont avec l’impétuosité des hommes qu’on leur compare. Ôtez la différence des noms de milan, d’épervier, de faucon, vous ne verrez que la même chose. La violence d’un tourbillon, qui déracine les arbres, ressemble plus à celle d’une tempête, qui fait quelque autre désordre, qu’aux objets avec qui on fait la comparaison. Un lion que la faim chasse de sa caverne, un lion poursuivi par les chasseurs, une lionne furieuse et jalouse de ses petits, un lion contre qui tout un village s’assemble, et qui ne laisse pas de se retirer fièrement avec orgueil : c’est un lion diversement représenté, mais toujours lion, qui ne donne pas des idées assez différentes.

Quelquefois les comparaisons nous tirent des objets qui nous occupent le plus, par la vaine image d’un autre objet, qui fait mal à propos une diversion. Je m’attache à considérer deux armées, qui vont se choquer, et je prends l’esprit d’un homme de guerre, pour observer la contenance, l’ordre, la disposition des troupes : tout d’un coup, on me transporte au bord d’une mer que les vents agitent, et je suis plus prêt de voir des vaisseaux brisés, que des bataillons rompus. Ces vastes pensées que la mer me donne, effacent les autres. On me représente une montagne tout en feu et une forêt toute embrasée. Où ne va point l’idée d’un embrasement ? Si je n’étois bien maître de mon esprit, on me conduiroit insensiblement à l’imagination de la fin du monde. De cet embrasement si affreux, on me fait passer à un éclat terrible de nues enfermées dans un vallon ; et, à force de diversions, on me détourne tellement de la première image qui m’attachoit, que je perds entièrement celle du combat.

Nous croyons embellir les objets, en les comparant à des êtres éternels, immenses, infinis ; et nous les étouffons, au lieu de les relever. Dire qu’une femme est aussi belle que Mme Mazarin, c’est la louer mieux que si on la comparoit au soleil ; car le sublime et le merveilleux font honneur ; l’impossible et le fabuleux détruisent la louange qu’on veut donner.

La vérité n’étoit pas du goût des premiers siècles : un mensonge utile, une fausseté heureuse, faisoit l’intérêt des imposteurs, et le plaisir des crédules. C’étoit le secret des grands et des sages, pour gouverner les peuples et les simples. Le vulgaire, qui respectoit des erreurs mystérieuses, eût méprisé des vérités toutes nues : la sagesse étoit de l’abuser. Le discours s’accommodoit à un usage si avantageux : ce n’étoient que fictions, allégories, paraboles ; rien ne paroissoit comme il est en soi : des dehors spécieux et figurés couvroient le fond de toutes choses ; de vaines images cachoient les réalités, et des comparaisons trop fréquentes détournoient les hommes de l’application aux vrais objets, par l’amusement des ressemblances.

Le génie de notre siècle est tout opposé à cet esprit de fables, et de faux mystères. Nous aimons les vérités déclarées, le bon sens prévaut aux illusions de la fantaisie ; rien ne nous contente aujourd’hui, que la solidité et la raison. Ajoutez à ce changement de goût, celui de la connoissance. Nous envisageons la nature, autrement que les anciens ne l’ont regardée. Les cieux, cette demeure éternelle de tant de divinités, ne sont qu’un espace immense et fluide. Le même soleil nous luit encore ; mais nous lui donnons un autre cours : au lieu de s’aller coucher dans la mer, il va éclairer un autre monde. La terre immobile autrefois, dans l’opinion des hommes, tourne aujourd’hui, dans la nôtre, et rien n’est égal à la rapidité de son mouvement. Tout est changé : les dieux, la nature, la politique, les mœurs, le goût, les manières. Tant de changements n’en produiront-ils point, dans nos ouvrages ?

Si Homère vivoit présentement, il feroit des poèmes admirables, accommodés au siècle où il écriroit. Nos poëtes en font de mauvais, ajustés à ceux des anciens, et conduits par des règles, qui sont tombées, avec des choses que le temps a fait tomber.

Je sais qu’il y a de certaines règles éternelles, pour être fondées sur un bon sens, sur une raison ferme et solide, qui subsistera toujours ; mais il en est peu qui portent le caractère de cette raison incorruptible. Celles qui regardoient les mœurs, les affaires, les coutumes des vieux Grecs, ne nous touchent guère aujourd’hui. On en peut dire ce qu’a dit Horace des mots. Elles ont leur âge et leur durée. Les unes meurent de vieillesse : ita verborum interit ætas ; les autres périssent avec leur nation, aussi bien que les maximes du gouvernement, lesquelles ne subsistent pas, après l’empire. Il n’y en a donc que bien peu, qui aient droit de diriger nos esprits, dans tous les temps ; et il seroit ridicule de vouloir toujours régler des ouvrages nouveaux, par des lois éteintes. La poésie auroit tort d’exiger de nous ce que la religion et la justice n’en obtiennent pas.

C’est à une imitation servile et trop affectée, qu’est due la disgrâce de tous nos poëmes. Nos poëtes n’ont pas eu la force de quitter les dieux, ni l’adresse de bien employer ce que notre religion leur pouvoit fournir. Attachés au goût de l’antiquité, et nécessités à nos sentiments ; ils donnent l’air de Mercure, à nos anges, et celui des merveilles fabuleuses des anciens, à nos miracles. Ce mélange de l’antique et du moderne leur a fort mal réussi : et on peut dire qu’ils n’ont su tirer aucun avantage de leurs fictions, ni faire un bon usage de nos vérités.

Concluons que les poëmes d’Homère seront toujours des chefs-d’œuvre : non pas en tout des modèles. Ils formeront notre jugement ; et le jugement réglera la disposition des choses présentes.

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