Шарль де Сент-Эвремон. Lettre au marquis de Créqui sur la paix des Pyrénées

Шарль де Сент-Эвремон. ​Lettre au marquis de Créqui sur la paix des Pyrénées

Je voudrois bien pouvoir satisfaire votre curiosité, tant sur les véritables motifs de la paix, que sur tout ce qui s’est passé à la Conférence ; mais, à vous dire la vérité, vous deviez vous adresser aux confidents particuliers de Son Éminence, qu’une longue et familière conversation avoit pleinement instruits de ses secrets. Pour moi, qui n’ai été qu’un simple spectateur, je ne vous puis donner que des conjectures et des lumières incertaines, que je dois à ma seule pénétration. Telles qu’elles sont, je vous les expose volontiers, et vous demande, pour toute grâce, que les louanges de M. le cardinal Mazarin ne vous soient pas suspectes d’adulation : le bien que j’en dis est un bien sincère, qui n’est point attiré par l’espérance des grâces, ni produit par la gratitude des bienfaits.

Comme le plus grand mérite du chrétien est de pardonner à ses ennemis, et que le châtiment de ceux qu’on aime est l’effet de l’amitié la plus tendre, M. le cardinal a pardonné aux Espagnols, pour châtier les François. En effet, les Espagnols, humiliés par tant de disgrâces, abattus par tant de pertes, dévoient attirer sa compassion et sa charité ; et les François, devenus insolents par les avantages de la guerre, méritoient d’éprouver les rigueurs salutaires de la paix. Il souvenoit à Son Éminence du beau mot de ce Castillan, qui étrangla don Carlos, par l’ordre de Philippe II : Calla, calla, señor don Carlos ; todo lo que se haze es par su bien ; et touché d’une si amoureuse punition, quand elle a pris le bien des particuliers, après avoir épuisé les sources publiques, elle a étouffé nos gémissements et réprimé nos murmures, en nous disant paternellement : Calla, calla, seños Frances ; todo lo que se haze es par su bien.

Je croirois assez que des considérations politiques ont été mêlées avec une conduite chrétienne, dans la douceur et la bonté qu’a eue M. le cardinal, pour les Espagnols. Auguste, qui voulut donner des bornes à l’empire, et lui laisser, en mourant, une grandeur juste et mesurée, pourroit bien lui avoir servi d’exemple, dans la modération de sa paix.

Il a jugé que la France se conserveroit mieux, unie, comme elle est, et ramassée, pour ainsi dire, en elle-même, que dans une vaste étendue ; et ce fut une prudence dont peu de ministres sont capables, de songer à couvrir notre frontière, quand la conquête des Pays-Bas étoit pleinement entre ses mains.

Qui ne sait que la destruction de Carthage fut celle de la république romaine ? Tant que Rome eut l’opposition de sa rivale, ce ne fut chez elle que vertu, obéissance ; sitôt qu’elle n’eut plus d’ennemis au dehors, elle s’en fit au dedans ; et eut tout à craindre d’elle-même, quand elle n’eut rien à appréhender des étrangers.

Son Éminence, plus sage que les Scipions, n’a eu garde de nous laisser tomber dans cet inconvénient-là ; et, profitant de la faute de ses pères, elle a conservé l’Espagne à la France, pour l’exercice de ses vertus, et le maintien éternel de son empire.

Quelle différence, Monsieur, d’une sagesse si profonde au dérèglement du cardinal de Richelieu ! Il me semble que je vois cette âme immodérée ne se contenter ni de la Flandre, ni du Milanez ; mais, dans une conjoncture qu’on n’avoit pas eue depuis Charles-Quint, envoyer sept ou huit millions à Francfort, et faire marcher une grande armée sur les bords du Rhin, pour venger notre nation, en la personne de Louis XIV, de l’affront qu’elle reçut autrefois en celle de François Ier. Je lui vois prendre de nouvelles liaisons avec le Portugal, après la défaite de Don Luis ; je lui vois joindre nos forces à celles de ce royaume, pour chasser le roi catholique de Madrid, sans aucun respect d’une personne sacrée et inviolable.

Cependant, il étoit d’un chrétien de pardonner à ses ennemis ; il étoit généreux de ne pousser pas sa victoire jusqu’à la ruine d’une si belle monarchie ; il étoit politique de n’étendre pas tant nos frontières, que le soin des choses éloignées nous fit négliger celles qui sont naturellement à nous.

J’entends les envieux de Son Éminence, qui, n’osant se prendre directement à la paix, condamnent la manière dont on l’a faite ; attaquent la suspension, et cet engagement trop facile des conférences, où tous les articles d’une paix ratifiée ont été changés.

Il est bien vrai que M. de Turenne n’oublia rien pour dissuader cette suspension ; mais il ne considéroit pas le véritable motif d’un abouchement si glorieux ; et, tandis que ce grand général rouloit dans sa tête le triomphe de la Flandre, il ignoroit celui que s’étoit proposé M. le cardinal, dans un combat d’intelligence et de raison.

En effet, il n’a rien désiré plus fortement que de faire voir à toute l’Europe la supériorité de son génie, et il n’a point été trompé dans son opinion ; car il s’est toujours rendu maître de l’entendement de Don Luis, qui reconnoissoit, de bonne foi, l’ascendant de son esprit et l’avantage de ses lumières ; mais il arrivoit, par malheur, que la volonté trop opiniâtre de celui-ci devenoit maîtresse, à la fin, des résolutions de celui-là. Ainsi l’Espagnol emportoit, grossièrement et sans raison, des choses que l’Italien disputoit, spirituellement et avec justice. Ce n’est pas que l’opiniâtreté de Don Luis lui ait toujours réussi ; et quand il se vante de l’abandonnement du Portugal et du rétablissement de M. le prince, nous pouvons lui alléguer sa simplicité, dans les munitions qu’il nous a laissées, et l’ignorance de calcul, dans l’évaluation des cinq cent mille écus que l’on a donnés à la reine.

En tout cas, Son Éminence peut se flatter secrètement, de n’avoir pas fait des pas inutiles ; l’Alsace, les biens d’Italie, l’abbaye de Saint-Wast, peuvent le consoler de la peine qu’il a prise ; au lieu que le chimérique Don Luis, qui s’est amusé à l’intérêt général, a tiré toute la dépense qu’il a faite de son propre fonds.

En vain, il a paru fier, dans le plus mauvais état de leurs affaires, pour en avouer la foi- blesse, sitôt que la paix fut signée : Allons, dit-il, Messieurs, allons rendre grâces à Dieu ; nous étions perdus, l’Espagne est sauvée.

Son Éminence ne fait pas grand cas de ce beau dit, qui sent le vieux citoyen, de Lacédémone : tenant ces exultations du salut de la patrie, pour un véritable sentiment de républicain. Elle pense judicieusement que toute paix est bonne, quand par elle on met à couvert des millions qui se consommoient de nécessité dans la continuation de la guerre. Que le bonhomme Don Luis n’ait eu pour but que le service de son maître et l’utilité du public, la maxime de M. le cardinal est que : le ministre doit être moins à l’État que l’État au ministre ; et dans cette pensée, pour peu que Dieu lui donne de jours, il fera son propre bien de celui de tout le royaume.

J’ai pitié de ces discoureurs, qui lui reprochent d’avoir fait la paix, quand nous allions tout conquérir. Il me semble avoir appuyé suffisamment sa modération ; je puis encore alléguer pour sa justification des raisons qu’il nous a souvent données.

Les François, dit-il, portent toujours leurs vues au dehors, sans regarder jamais au dedans : dissipés sur les affaires d’autrui, ils ne font point de réflexions sur les leurs.

Ils allégueront qu’après la bataille de Dunkerque et la défaite du prince de Ligne, qu’après la reddition d’une partie des villes, et dans l’étonnement des autres, la Flandre ne pouvoit plus subsister ; que les affaires des Espagnols n’alloient guère mieux dans le Milanez ; que la défaite de Don Luis avoit rempli de consternation toutes les Espagnes, épuisées d’hommes et d’argent ; et pour parler en termes de médecin, que le siége de la chaleur n’étoit pas moins attaqué que les parties.

Mais, ils ne diront pas que le cardinal de Retz avoit fait un voyage en Flandre, d’où il était sorti si secrètement, qu’on n’avoit jamais pu découvrir le lieu de sa retraite.

Ils tairont malicieusement qu’Annery, ce premier mobile des assemblées, allait et venait de nuit chez les gentilshommes du Vexin ; qu’on avait rencontré, proche de Hesdin, Créqui-Bernieulle ; que Gratot, le Montrésor des provinces, avait tenu à Coutances force discours politiques, sur le bien public.

Ils tairont que Bonneson armait les sabotiers de Sologne et donnait de la chaleur à ce dangereux parti qui se formoit contre l’État.

Il y avoit quelque chose de plus pressant encore, dont la seule conscience de M. le cardinal pourroit rendre témoignage. Quelle gêne à un grand ministre, maître absolu de la cour, de voir trois gouverneurs qu’il avoit faits, tirer des sommes prodigieuses de la Flandre, sans compter avec lui. Du tempérament généreux qu’est Son Éminence, elle eût mieux aimé donner Corbie, Péronne et Saint-Quentin aux ennemis, que de souffrir plus longtemps les contributions d’Arras, de Béthune et de la Bassée.

Il faudroit entrer dans son âme, pour bien connoître le déplaisir qu’elle a eu de s’être trompée sur Saint-Venant, quand le dessein d’en tirer un million est devenu à rien, entre les mains de La Haye.

Oudenarde, Ypres et Menin entretenoient véritablement un grand corps ; mais à peine y avoit-il au delà de quoi enrichir le seigneur Lange. Je passe outre, et pose que la Flandre se fût rendue tout à fait à nous : il eût fallu conserver ses privilèges, et se contenter d’un misérable centième.

Non, non, Monsieur ; des titres, des seigneuries ne satisfont pas un ministre si solide. Ce qui s’appelle une véritable conquête, pour lui, c’est l’acquisition réelle de nouveaux deniers ; et, à son avis, réduire les gouverneurs, casser des troupes, retrancher toutes les dépenses et ne diminuer aucunes levées, c’est proprement conquérir ; c’est gagner, en effet, un nouveau royaume. Avec cela, j’ose dire qu’il laissera volontiers à l’Espagne tous ses États, et promettra religieusement de ne la point troubler, dans la guerre de Portugal. De toutes les possessions du roi d’Espagne, les seules Indes lui font quelque envie ; mais il se console, de ce que les Espagnols en ont les soins, et qu’il aura toujours la meilleure partie de leur flotte.

Voilà, Monsieur, le mystère de nos conférences, et voilà ce qui s’est passé de plus secret dans le cœur de M. le cardinal.

Si vous voulez que je vous dise sérieusement les mêmes vérités, sous un autre tour, vous saurez qu’il n’y avoit plus de monarchie espagnole, dans la continuation de la guerre ; encore l’eussions-nous fort affaiblie par la paix, si M. le cardinal ne l’eût pas voulu traiter lui-même, sans la participation de personne. Il est certain qu’il n’a jamais compris la foiblesse et la nécessité des ennemis, au point qu’elles étoient ; et la conversation que M. de Turenne eut avec lui, sur ce sujet, lui parut le discours d’un général intéressé, qui vouloit éloigner la paix, pour se maintenir dans la guerre.

L’ancienne réputation des Espagnols lui couvroit leur misère présente : ne pouvant s’imaginer qu’une nation si redoutable autrefois pût être si proche de sa ruine. L’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas, qui n’étoient presque plus que des noms, lui donnoient toujours une grande idée de leur vieille puissance : il ne considéra pas assez l’état où nous étions, pour considérer trop celui où nos ennemis avoient été.

La vertu de M. le Prince, dénuée des moyens nécessaires pour agir ; l’image du cardinal de Retz, caché misérablement, pour la sûreté de sa vie, rappeloient dans son esprit les désordres passés, et lui faisoient appréhender des révolutions nouvelles. Il concevoit, en trois gentilshommes de Normandie vagabonds, en de pauvres paysans de Sologne désespérés, toute la noblesse soulevée, et la révolte de tous les peuples. Tout le monde, à son avis, l’attaquoit, parce qu’il se sentoit odieux à tout le monde.

Comme il y avoit en lui un mélange de sentiments différents, il faut considérer le motif d’intérêt, après celui de la crainte. Rien ne le gênoit si fort que la dépense inévitable de la guerre ; et il aspiroit à se voir maître de tous les deniers, sans être nécessité de les employer à aucun usage. Alors il croyoit les finances purement siennes : ce qui a été véritablement un des principaux sujets de la paix. L’indépendance des gouverneurs a paru l’une de ses plus fortes raisons ; et il comptoit toujours avec les villes que nous laissoient les Espagnols, celles qui rentreroient au pouvoir du roi. Mais, à parler sainement, les grandes contributions irritoient son avidité ; et, comme il ne lui étoit pas possible de les partager avec les gouverneurs, il se faisoit un plaisir de leur voir perdre ce qu’il ne pouvoit pas avoir.

Il y a apparence que la dernière campagne de M. de Turenne lui a donné quelque secrète jalousie ; particulièrement ces heureux succès, où sa vanité ne pouvoit s’intéresser, comme elle avoit fait ridiculement à la bataille de Dunkerque. Un si grand bonheur lui donna, sans doute, la pensée de négocier : l’ayant toujours eue, dans les événements favorables, pour faire connoître aux généraux l’incertitude de leur condition, et les tenir, au milieu de tous leurs progrès, dans la même dépendance.

Il craignoit de plus, qu’incommodé de goutte, de gravelle, et par conséquent moins en état de suivre le roi, on ne vînt à se passer aisément de lui, dans la campagne. Le souvenir des derniers exploits lui en faisoit appréhender de nouveaux ; et pour se délivrer d’inquiétude, il aima mieux finir la guerre, par une paix toute de lui, que de voir faire conquête sur conquête, où il n’auroit point de part.

D’ailleurs, il commencoit à se lasser de tous les maux qu’il avoit fait souffrir à M. le Prince. Sa haine s’étant enfin épuisée, il s’apprivoisoit à l’imagination de son retour, et se flattoit même quelquefois du plaisir qu’il auroit de le voir abandonné des Espagnols et humilié devant lui. Il pensoit trouver, à la conférence, une soumission générale ; et faire là, comme bon lui semblerait, le destin de tous les peuples. Mais Don Luis, qui fut souple pour l’attirer, devint fier, sitôt qu’il le vit entre ses mains, et voulut regagner, dans la hauteur du traité, la réputation qu’il avoit perdue, dans la foiblesse de la guerre. Et certes, c’est une chose assez remarquable, que les grands d’Espagne, qu’on nous dépeignoit si fiers, ayent reconnu la supériorité de notre nation, par des déférences aux François, qui sentoient moins la civilité que l’assujettissement ; et que M. le cardinal, qui seul avoit l’honneur et les droits de la France à soutenir, ait trouvé moyen, avec la force et la raison, de se faire un maître. Il pouvoit tout ce qu’il auroit voulu fortement ; mais, pour avoir pris le parti de la persuasion, et avoir laissé prendre à don Luis celui de l’autorité, les Espagnols ont fait la paix, comme s’ils avoient été en notre place, et nous avons reçu les conditions, comme si nous avions été en la leur. Je sus de quelqu’un d’eux que M. de Lionne leur eût été d’une humeur fort épineuse, si son supérieur n’eut levé tous les obstacles qui traversoient la conclusion.

Cette grande facilité m’a fait faire réflexion sur le différent procédé des deux ministres ; et j’ai trouvé qu’aux affaires particulières, M. le cardinal étoit plein de difficultés, de dissimulations, d’artifices, avec ses meilleurs amis ; dans les traités publics, avec nos ennemis même, confiant, sincère, homme de parole, comme s’il eût voulu se justifier aux étrangers de la réputation où il étoit parmi nous, et rejeter les vices de son naturel sur les défauts de notre nation. Pour Don Luis, de l’honnêteté avec les particuliers, de la franchise avec ses amis, de la bonté pour ses créatures : dans les affaires générales, un dessein de tromper assez profond, sous des apparences grossières, et peu de bonne foi, en effet, sous l’opinion d’une probité établie.

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